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Compte rendu

Bande dessinée documentaire en Equateur





Bourse AVI International - Edition 2017

Un projet mené par

Laetitia Ayrault




Je suis arrivée à Quito au milieu du mois de mars. Audrey, qui travaille dans l’ONG Une Option de Plus, et avec qui je suis en contact depuis plusieurs mois pour monter le projet, vient m’accueillir à l’aéroport. On file chez elle et je passe la semaine suivante à me remettre du décalage horaire, à découvrir cette nouvelle ville et ce nouveau continent, et à rencontrer les personnes qui travaillent avec Audrey. On continue de fignoler ensemble le programme, à recontacter les associations que je vais bientôt aller visiter, à discuter du projet de bande dessinée, et je commence à faire mes premiers dessins.

La première association que je visite s’appelle Ecuasol. Elle est basée à Quito, dans un quartier sensible qui s’appelle La Roldos. Elle fait majoritairement du soutien scolaire, et il y a beaucoup d’activités pour les enfants. J’ai partagé le quotidien de 5 volontaires français, ce qui a facilité une immersion en douceur, étant donné que je ne maîtrisais pas encore l’espagnol.

Au début, c’était assez stressant de débarquer comme ça quelque part et de devoir faire des pages de bande dessinée documentaire pour la première fois, mais j’ai fini par trouver ma manière de travailler, d’essayer de m’intégrer au groupe des élèves et des éducateurs pour trouver ce que je voulais dire. Ça été très formateur. Petit à petit, j’ai compris les enjeux d’Ecuasol, et par tisser des liens forts avec les enfants.

J’ai mis en place petit à petit une manière de dessiner sur le vif, ou d’après photo ; de faire des entretiens avec des professeurs, enregistrés avec un dictaphone ou non, de noter des conversations dans un carnet. Je dessinais rapidement un story-board dans un petit carnet, j’organisais les choses que je voulais communiquer et je dessinais les planches. J’ai décidé de “suivre” davantage une personne dans chaque association, qui serait en quelque sorte le fil rouge dans la narration de chaque visite.

Pour Ecuasol, j’ai choisi Emilie, qui y est volontaire française et psychologue. J’ai également organisé avec l’aide de volontaires des ateliers de bande dessinée, d’abord pour inventer des histoires en groupes puis dessiner et colorier des grandes planches de BD.

Ensuite, j’ai pris le bus pour aller sur « la Costa » (la côte), dans le village de San Vicente, dans lequel il y a l’association Futuro. C’est une ludothèque qui accueille les enfants du quartier de Nueva Esperanza, et qui organise divers ateliers culturels ou sociaux. J’étais heureuse de quitter la mégalopole pour voir comment vivaient les habitants des zones plus rurales. C’est très différent, mais il y a souvent les mêmes problèmes sociaux ou économiques qui reviennent.

Je suis arrivée à Futuro pour “l’anniversaire du Terremoto”, un grand tremblement de terre de magnitude 7.3 qui a secoué toute la Costa équatorienne le 16 avril 2016. L’association organisait une commémoration et des ateliers de sensibilisation. J’ai encore organisé un atelier bande dessinée avec les conseils de Paola, une art thérapeute sur le thème du terremoto : les enfants étaient libres d’imaginer et de dessiner une histoire d’une page sur cet évènement. On sentait que ça permettait parfois d’extérioriser une grande tristesse ou une grande peur...

Parallèlement à ce travail, j’ai continué mon travail d’observation et de dessin, et pour ce chapitre, j’ai suivi davantage Martine, la présidente de l’association, qui est franco-équatorienne, qui vit ici avec son mari et ses enfants depuis une trentaine d’années. J’ai parlé avec elle des raisons pour lesquelles elle a fondé Futuro et de la manière dont elle a vécu le tremblement de terre.

Je me suis rendue ensuite un peu plus au nord visiter la fondation Creando Futuro, à Muisne, toujours sur la Costa, qui a aussi été très touchée par le Terremoto.

Creando Futuro a des activités très variées : elle organise est présente dans les “albergues”, les refuges pour les personnes dont les habitations ont été détruites par le terremoto ; elle sensibilise à la violence de genre et s’occupe d’un programme de micro-crédits pour aider à relancer l’économie locale.

J’ai cette fois fait un pas en avant dans mon immersion dans le pays : j’ai choisi de parler davantage avec Carlos, qui travaille à la fondation et qui est équatorien. J’ai pu réaliser mes premiers entretiens en espagnol et me familiariser davantage avec la langue.

Là-bas, j’ai été hébergée dans les bureaux de la fondation avec Julien, volontaire à l’association. Nous avons vraiment été en immersion dans le mode de vie local, surtout grâce aux liens crées avec Carlos, et nous avons également pris conscience de la difficulté des conditions de vie, par exemple lorsque nous n’avons plus eu d’eau pendant une semaine.

L’association suivante qui m’a accueillie se nomme Patou Solidarité et est présidée par une française, Myriam. Elle m’a laissée une chambre dans sa maison qu’elle partage avec ses deux enfants, dans la selva (la jungle). Elle habite un tout petit village, Puerto Misahuahi, près de la ville de Tena.

L’association aide principalement les femmes victimes de violences et travaille à construire un refuge. Elle propose aussi un système de parrainage pour aider les enfants à aller à l’école, à acheter du matériel scolaire et des vêtements.

Elle a été très sensible à mon projet et m’a très rapidement présentée à Pati, une femme indigène victime de violences de genre, en lui proposant de témoigner sur sa situation afin que je puisse la partager dans ma bande dessinée documentaire. Nous avons beaucoup parlé avec Pati, et c’est tout naturellement que ce chapitre s’est orienté vers son histoire.

C’était le moment le plus bouleversant de ce voyage, car c’est une histoire terrible. J’ai essayé de partager la voix de cette femme du mieux que je pouvais. Pati m’a tout montré, la jungle où elle va récolter le cacao, le maïs avec sa machette et sa chemise pour se protéger des moustiques, sa maison, ses sept enfants... J’étais surtout impressionnée par la beauté de la relation qui existe entre elle et Myriam, c’était très inspirant.

Après l’Amazonie, je me suis retrouvée dans une toute autre sorte de jungle  : la jungle urbaine de Guayaquil. Guayaquil, c’est la capitale économique de l’Équateur, elle est immense, il s’y passe beaucoup de choses. Elle est au sud du pays, sur la Costa. Je m’y suis sentie étonnamment bien.

J’ai passé quelques jours de “pause” dans une association nommée Funsiba, qui héberge et aide de mille manières des handicapés mentaux. J’ai tout de même organisé un atelier BD, mais je n’ai pas dessiné sur cette association, parce que je pensais ne pas avoir le temps de le faire, que le livre aurait été trop long avec un chapitre en plus... Mais peut-être une autre fois ?

Je suis ensuite passée du centre-ville à la banlieue sud, dans le quartier du Guasmo. J’y ai découvert Clave de Sur, une école de musique. Pour la première fois de mon voyage, j’ai vécu dans une famille équatorienne, pour mon plus grand bonheur. J’ai donc partagé de quotidien de Shirley, Johnny, Allan, Ahilyn et Andy pendant deux semaines. Ce séjour était très enrichissant, d’abord parce que j’ai pu beaucoup parler et partager avec cette famille très chaleureuse et généreuse.

J’ai surtout discuté avec Shirley et Allan, je pense que j’ai beaucoup appris sur leur manière de vivre, leurs envies et leurs rêves. Lorsque j’étais chez eux, il y a eu un tremblement de terre, à quelques heures au sud, relativement fort. Il n’y a pas eu de dégâts à Guayaquil, mais c’était particulièrement intense de vivre ça alors que j’en avais entendu tant de récits.

A Clave de Sur, j’ai pu constater à quel point la musique était un outil pour gagner confiance en soi, avoir envie de créer des projets.

La dernière association que j’ai visitée est perchée dans les Andes, dans un village à grande majorité indigène : Saraguro. Là-bas, la plupart des femmes porte un habit traditionnel de feutre noir, de grands chapeaux, d’immenses colliers de perles multicolores et des broches en argent. Les hommes ont une longue tresse qui atteint le bas du dos.

Mashi Pierre, c’est une association qui accueille les enfants, les aide à faire les devoirs et leur propose des activités artistiques. Les volontaires vont également donner des cours d’anglais dans des écoles des environs. J’habitais d’ailleurs avec deux jeunes femmes françaises qui étaient volontaires, dans une petite maison rouge en haut de la montagne.

J’ai demandé à Alonso s’il voulait bien que je fasse ce chapitre sur lui. Alonso est indigène et habite depuis un an à Cuenca, une grande ville à une heure de distance. Il est né à Saraguro et nous avons parlé ensemble de ce que ça représentait pour lui d’être indigène.

Au moment où j’étais à Saraguro, il y a eu l’Inti Raymi, ce qui signifie la fête du soleil. C’est une célébration qui remonte à des millénaires, et durant trois jours il y a des cérémonies, des évènements en lien avec cette fête. J’étais très contente d’avoir le point de vue d’Alonso sur ces traditions.

Après toutes ces visites, j’ai pris du temps pour finir la bande dessinée tranquillement à Quito, chez une amie qui travaille à Une Option de Plus, Paola, et qui est art thérapeute et psychologue. Je l’avais déjà croisée à San Vicente et à Saraguro.

J’ai terminé le projet chez elle, puis j’ai filé à Guayaquil où l’Alliance Française m’a invitée à venir présenter mon travail sous la forme d’une exposition des planches de la bande dessinée, une conférence, une discussion avec les étudiants et des ateliers bande dessinée pour les enfants. J’y ai passé une semaine, du 15 au 19 août, et ça été une très belle occasion de partager mon projet, mais aussi de faire le point, de prendre un peu de recul sur ce que j’avais fait.

Ce projet et ce voyage m’ont beaucoup appris et apporté. Premièrement, ça a été pour moi l’opportunité de réaliser mon premier projet professionnel, alors que j’étais encore étudiante. J’ai beaucoup appris sur ma manière de travailler, d’autant plus que ce format de bande dessinée documentaire était encore nouveau pour moi.

J’ai appris à travailler en scénarisant petit à petit, en enregistrant avec mon dictaphone, en prenant des notes, des photos, en ayant des discussions informelles avec des gens ou bien en organisant un entretien plus structuré. J’ai appris également que j’adorais le fait de faire un projet tout en voyageant.

J’ai également été amenée à contacter des éditeurs, à aller les voir au festival de la bande dessinée d’Angoulême, et ça été une expérience très enrichissante. Je suis actuellement en train de dialoguer avec un éditeur en vue de publier le livre l’an prochain, et j’espère que ça prendra forme car ce serait un bel aboutissement du projet.

Je vais également faire mon possible pour que la bande dessinée soit éditée en Équateur, ça serait une belle manière de remercier ce pays. Cependant, il me faudrait déjà la publier en France et puis tenter d’avoir une aide de l’Institut Français (qui s’appelle “programme d’aide à la publication”) pour le traduire et le publier avec un éditeur équatorien.

Je n’en suis pas encore là, mais en tout cas c’est mon objectif.

J’ai également fait des rencontres formidables dans ce pays qui m’a beaucoup marquée, et j’ai commencé à découvrir une autre culture et une autre manière de voir la vie. Ça a été très enrichissant. J’ai également découvert le monde de l’humanitaire, c’est un milieu parfois très dur mais bouleversant.

En conclusion, je dirais que ce voyage m’a permis d’atteindre les objectifs qui m’étaient importants avant même de commencer le projet, à savoir concilier ma pratique artistique et mon envie de m’engager dans un projet solidaire. En réalisant une bande dessinée documentaire en lien avec une ONG telle qu’Une option de plus, j’ai pu mettre mon dessin au service d’un message à transmettre. J’avais envie de découvrir un pays d’Amérique latine, pas seulement en tant que touriste ou voyageuse, mais de nourrir des échanges riches avec la population locale. J’espère leur avoir apporté autant qu’eux.



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