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Le récit détaillé du voyage 

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  13 mai  : Nouveau pays, nouvelle famille

Rostov sur le Don

J'ai quitté les immenses champs ukrainiens pour pédaler dans les immenses champs russes. Aucune cassure en passant d’un pays à l’autre : les mêmes paysages, les mêmes “babouchkas” aux foulards multicolores, la même langue… C'est fascinant de voir cette culture russe régner sur des millions d'individus au-delà de toutes frontières. Cela lui confère une richesse extraordinaire mais amène aussi parfois une certaine "arrogance". Les russophones se suffisent à eux-mêmes et partout où je suis allé, le plus souvent, même les plus jeunes ne parlent pas anglais.

Après une nuit dans ma tente près d'une mer d'Azov pleine de poissons argentés (avec la visite de quelques jeunes en état d'ébriété, mais je ne fais plus attention à ce détail), je m'installe à Taganrog. Tout le monde vous dira que c’est une toute petite ville, et pour cause, c'est un confetti dans un petit coin de cet immense pays. Cette ville s'étend pourtant sur des kilomètres, les quartiers ressemblent tous à des centres-villes, on y est 300 000 habitants (comme Lausanne et sa région) et on a le choix entre trois stades ! Cette ville riquiqui me montre que j'ai bien franchi une frontière et que l'échelle des choses n'est plus la même. Finies les villes plongées dans le noir. Ici, elles ne sont noires que de monde.

C'est dans un de ces stades que je couche. Je passe une journée à régler les problèmes administratifs pour me faire enregistrer dans le pays. Dès notre premier contact, la responsable du bureau de l'immigration m'a foutu à la porte d'un coup de pied dans les parties sensibles (vélo oblige, je parle de mes fesses, bien sûr) en m'expliquant, en russe, les démarches à suivre. J'ai dû mobiliser les numéros un et deux du stade ainsi que les numéros six et douze de l'équipe locale (presque aussi musclés que moi) pour venir à bout de ces démarches kafkaïennes. Ces bonnes âmes m'ont sauvé la vie ! J'appartiens pour de bon à la famille des sportifs. Il ne me manque plus qu'un mannequin pour femme.

Mais ne rêvons pas, pour l'instant, je vous écris de la hutte du gardien de la mosquée de Rostov-sur-le-Don, une vraie grande ville portuaire de plus d'un million d'habitants. Les Musulmans d'ici (et c'en sont de vrais puisqu'ils ne boivent même pas de vodka !) sont des Tatars (encore eux, oui, mais attention ce ne sont pas des Tatars de Crimée !), des Tchétchènes, des Ouzbeks, des Daguestanais, etc. Ils disent vivre ici en paix et en harmonie. Le gardien de ma mosquée, lui, est Pakistanais. Il a fini là suite à un grave accident de voiture qui l'a obligé à arrêter ses affaires. La mosquée (financée par des fonds turcs) est toute neuve. L'ancienne, confisquée par les cocos, est aujourd'hui un club de l'armée, au grand désespoir de mes hôtes.

Bref les rencontres se poursuivent. Je quitte cette ville aujourd'hui pour quelques jours à la campagne vers de nouvelles aventures… Vous me demandez plus de paysages et d'anecdotes dans mes chroniques… J'essaierai. La région est à présent pleine de vallons, mais je n'y prête même pas attention. Je vous l'ai dit, j'appartiens à la famille des sportifs à présent !
 



Dernier village étape avant Volgograd, en attendant la fin de la pluie, je suis invité par des étudiants à manger dans leur cantine. Soupe aux patates, soupe aux petits pois et chocolat chaud et pains seront notre seul repas. Une journée décidément sous le signe du liquide.


Petit déjeuner avec mes amis turcs : pain, beurre, lait et sucre. Tout est bio, bien sûr.


Au bord de la route, un couple russo-ouzbek tient une échoppe pour les travailleurs des champs et les automobilistes. Ce matin, œufs, pain et café seront le menu du cycliste que je suis.

  21 mai  : Un fond d’URSS au fond de la Russie

Volgograd

Voilà une semaine de passée entre Rostov-sur-le-Don et Volgograd, dans la campagne russe, là où aucun touriste n'aurait de raisons d'aller. Les villages sont espacés, le relief plat (seul le vent décide si ma journée sera un enfer ou un plaisir), et mon seul paysage se résume à des champs verts à perte de vue. De temps en temps, des petits bonshommes dedans. C'est chez l'un d'eux que j'ai atterri il y a quelques jours. Turc, sa famille vivait en Ouzbékistan depuis plusieurs générations. Et voilà 15 ans qu'il plante ses tomates ici avec sa famille, sur son petit champs ou le grand champs de son patron. Sa maison est tout au bout d'un étonnant village rempli de Turcs d'Ouzbékistan où les Russes eux-mêmes sont devenus minoritaires. La cohabitation ne se passe pas très bien, mais dit-il, “ils sont bien contents de trouver des travailleurs turcs”. Petit exotisme dans la famille : la mère (qui est aussi grand-mère) ouzbek, avec ses traits asiatiques. Et tout ce petit monde parle un mélange de turc, de russe et d'ouzbek. Moi, je dors avec les enfants.

D'une manière générale, toute cette vallée fertile est un vrai brassage de peuples de l'ex-URSS qui s'est fait, ironie du sort, après l'éclatement du pays. J'y ai rencontré, en plus des Tchétchènes, des Ingouches (deux provinces russes), des Tadjiks, des Arméniens, des Ouzbeks, etc.

J'aime pousser les portes des maisons. Les rencontres se font naturellement. Avant-hier, c'est chez une mamie russe, ancienne vétérinaire de 60 ans, que j'ai passé la nuit. J'ai symboliquement travaillé dans son jardin et aidé au rapatriement des poussins dans la cuisine. Et puis nous avons longuement discuté. Mes progrès en russe me permettent d'avoir des conversations plus intéressantes, surtout lorsque mon interlocuteur sait se mettre à mon niveau. Je constate que Vladimir Poutine, s'il ne fait pas l'unanimité, jouit malgré tout d'un sacré prestige. On lui sait gré de sa lutte contre la corruption et des progrès économiques de ces dernières années. Par contre, parmi toutes mes rencontres, pas une seule ne défend Gorbatchev ou Eltsine !

Sinon, mon quotidien se fait surtout sur mon vélo. Des gens arrêtent de temps en temps leur voiture pour me parler (l'un d'eux m'a même proposé de l'argent pour me soutenir, j'ai refusé) et je fais quelques pauses autographes.

Nouvelle compagne de voyage, Thècle m'a rejoint hier à Volgograd. Elle va me suivre dans une autre Russie, une région bien asiatique que l'on appelle la Kalmoukie. Je ne vous en dis pas plus…
 




Frontière kalmouke, au milieu de nulle part, Thècle pose avec nos vélos


Vous me croyez, maintenant, quand je vous dis que la Kalmoukie est vide ? A quand le prochain « magazine » ? Impossible de savoir, du coup, pas besoin d’excuse, on fait systématiquement une pause dans les « magazines ».


Notre hôte, russe de souche, dans un village de Kalmoukie. On élève plus qu’on ne cultive dans la région car le climat est très sec. Rien à voir avec ce qui se passe quelques kilomètres à l’Est (voir autres chroniques).


120 temples et monastères lamaïques ont été détruits dans les années 30. Le temple d’Elista n’a rouvert qu’en 1989. Bouddhistes, Musulmans ou Orthodoxes, les Russes que j’ai croisés sont aussi peu pratiquants que les Français. Des décennies de régime soviétique sont passées par-là. Sur la photo, un des rares temples que nous ayons croisé sur notre chemin.


A Elista, capitale kalmouke posée au milieu de la steppe, les ados ont investi la principale place de la ville pour fêter l’arrivée de leurs vacances. Je danse avec une métisse kalmouko-russe.


Russes de souche et Kalmouks vivent en parfaite harmonie dans la capitale… Les gens sont très faciles d’accès, et on tape la discute en russe régulièrement. Comme tous les Russes que j’ai rencontrés, ils sont heureux comme tout de vivre dans leur ville.


Elista foisonne de petites constructions faisant référence à l’Orient. C’est rarement très réussi. En plein centre de la Kalmoukie cette ville est sortie des steppes en 1926.

  26 mai  : La fièvre Jaune

Elista

Entre mon arrivée à Volgograd par l'Ouest et mon départ de la ville par le Sud, il y a un gouffre… Finies les vallées fertiles qui fourmillent de travailleurs, place à un immense plateau de steppe verte balayé par un vent incessant (et jamais dans le bon sens, bien sûr). À quelques dizaines de kilomètres de Volgograd, un simple panneau indique notre entrée en Kalmoukie, un bout de Russie qui bénéficie d'une forte autonomie. Les Républiques ou Régions autonomes sont nombreuses dans le pays. Elles indiquent une spécificité ethnique, religieuse ou historique. Ce qui justifie l'existence de la République autonome que nous traversons, c'est un peuple d'origine mongole arrivé ici au 17ème siècle pour trouver de nouveaux pâturages. Et c'est vrai qu'à quelques kilomètres de cette "frontière" au milieu de nulle part, les yeux bridés du premier commerçant que nous trouvons ne laissent aucun doute sur ses origines.

Durant nos quatre jours de traversée de la steppe (celle-là même qui a inspiré la chanson des New Kids On The Block, Step by Step), nous nous sommes à peu près arrêtés dans chaque échoppe trouvée le long de la route. Le pays fait deux fois et demi la Belgique pour moins de 400 000 habitants, elles sont donc bien rares à l'échelle du cycliste, tout comme les villages !

Le hameau dans lequel nous somme tombés pour notre première nuit était peuplé quasiment que de russes de souche. C'est surtout à Elista, la capitale locale, que se mélangent les deux principaux peuples de la région. Là, Jaunes et Blancs se bécotent sur les bancs publics, prennent leurs bières ensemble et nous font de jolis métisses. L'assimilation à la culture russe a été très forte. Dans cette capitale, les jeunes parlent très peu le kalmouk et le temple bouddhiste, à quelques kilomètres du centre, semble bien désert. En ville, il ne reste de la culture mongole que les références à l'Orient des constructions modernes, quelques particularités culinaires (je trouvais mon thé pas assez sucré, en fait il était salé), etc. Leur mode de vie, qui ressemble à celui de tous les Russes, ne les empêche cependant pas de se dire “Kalmouks”, de se souvenir de quelle tribu mongole ils sont issus, et de porter parfois un petit médaillon bouddhiste. Pas de doutes, nous sommes en Asie !

Thècle, avec son teint un peu jaune et sa face de Mongole (ses jolis yeux en amande, me demande-t elle de rectifier) se fait régulièrement prendre pour une Kalmouke. Elle n'a pourtant pas l'habit traditionnel local : la minijupe et le décolleté.
Avant de retraverser la région par une autre route, nous jouissons d'une journée de repos à Elista. Tous les Kalmouks croient que nous sommes ici pour les championnats mondiaux d'échecs féminins qui ont lieu en ce moment… C'est vrai qu'il faut en vouloir pour venir exprès au fin fond de la steppe, admirer Elista. Et à vélo, en plus.




Construite sur le delta que forme la Volga en se jettent dans la Mer Caspienne, Astrakan est sillonnée par de nombreux canaux. Mais la mer est à 100 kilomètres de là…




Péniche sur la Volga. Ça chante et ça danse. Le dernier tube à la mode en Russie s’appelle “Paris”.

 


Dans l’enceinte de la forteresse (le “Kremlin”) du centre de la ville, cette superbe église orthodoxe.

  2 juin  : Sur les genoux et sur la Volga

Astrakan

Un vent qui nous empêche de dépasser les 10 km/heure, le genou de Thècle qui n'en mène pas large, l'absence d'échoppe avant 60 bornes, un paysage de steppe vertigineusement vide, l'envie de profiter un peu d'Astrakan… Tout ces éléments ont eu raison de nous, et c'est dans un bus que nous avons fait nos 150 dernières bornes. Depuis le début du périple, c'est la troisième fois que je choisis ce petit accélérateur. Avec plus de 2580 km dans les jambes, je n'ai pas vraiment de regrets.

Notre dernière nuit dans la steppe kalmouke s'est passée chez une famille russe, dans un village long de trois rues. Loin de tout, le genou dans une compresse de vodka pour Thècle, nous y avons suivi, sur une des deux chaînes captées ici, les derniers dénouements de la Star Academy russe. Nos hôtes, propriétaires d'un café en bord de route, semblent relativement aisés. Mais comment dépenser son argent dans un endroit pareil ? Dans la grande maison, on met donc une télé dans chaque pièce, on possède un micro-onde… Bref, le confort électrique, en attendant qu'il y ait un jour l'eau courante dans le village.

Me voilà à présent à Astrakan d'où Thècle vient de partir. Ce haut lieu du caviar semble avoir échappé aux traditionnels ravages urbains de l'ère communiste. Les belles bâtisses multicolores jouxtent les petites maisons en bois. Le centre est calme, sans voitures et les jeunes se pressent sur les bords de la Volga pour se baigner, pêcher, manger des brochettes de viande pleines d'oignons dans les cafés ou danser sur les péniches. Bref, une ville de farniente où les ethnies se mélangent. Si Elista était surtout kalmouke et russe, mille visages et habits de l'ex-URSS côtoient ici les Russes de souche. En achetant un merveilleux portrait de Vladimir Poutine, j'ai demandé à ma jolie voisine BCBG si elle aimait cette icône. En fait, elle était Tchétchène…

Les Kazakhs sont aussi présents dans les parages (l'un d'eux, vigile, nous a laissé planter notre tente dans la cours des bureaux qu'il gardait, nous permettant d'économiser une nuit d'hôtel). Nous sommes à quelques kilomètres du Kazakhstan où de nouvelles aventures m'attendent avant que Séb ne me rejoigne fin juin pour m'aider à imposer mes réformes de la langue russe. Ces trois jours de pause vont, je l'espère, me requinquer avant d'affronter ce pays dont la chaleur et le désert m'inquiètent : j'ai des douleurs aux genoux et des quintes de toux dues aux violents vents de la steppe.

Pour continuer : Chroniques du Kazaksthan